Chapitre 2-
« Rendez-moi
mon élève ! » vociférait un vieil alchimiste alors qu’il était
enchaîné dans la prison du palais d’Argent. Hélas, ses cris étaient vains. Une
voix dans l’ombre lui dit alors :
- -
Ça
ne sert à rien Orek, il ne ramènera pas Aanor parce que tu le demandes.
N’oublie pas qui il est.
- - Je
ne me tairais pas tant qu’il ne me dira pas où elle est. Je ne l’abandonnerais
pas !
- - Orek !
Tu parles d’Aanor comme si elle était seule et sans ressource !
- - C’est
vrai, tu as raison, Améra. Aanor est avec ton fils, Siftélamos. Mais tu sais ce
que je ressens. J’ai déjà perdu un enfant, je ne veux pas que ça recommence,
soupira l’alchimiste.
-
- Je
sais, je sais Orek. Nous regrettons tous Laura, mais ce n’est pas de ta faute.
Ne t’en fait pas pour les deux petits, ils s’en sortiront très bien sans nous,
après tout Aanor est une Harmonie.
- -
Améra !
s’écria Orek, il ne s’attaque qu’aux Harmonies ! Aanor est une Harmonie !
- -
Qui
sont ses victimes ? demanda Améra.
-
- Il
y a la vieille Amélie, et les triplés. Tous disparus, pas de trace de lutte,
comme pour Aanor et Siftélamos.
- -
Dis-moi
Orek, dit Améra, pourquoi s’en est-il prit à mon fils ? Ce n’est pas un
Harmonie.
- - Il
a certainement dû la protéger. Tu sais comment il est.
- - Tu
n’as pas tord, mais il y a un moment que ces deux là ne se parlent plus.
- -
Ah
oui … A cause des fiançailles d’Aanor, c’est ça ?
- - Oui.
Il n’a jamais aimé les fréquentations d’Aanor, mais je ne me demande pourquoi
il ne t’a jamais demandé la permission de l’épouser.
- -
Siftélamos
n’admettra jamais qu’il aime Aanor. Il est beaucoup trop timide.
- - Siftélamos,
timide ? Tu rigoles ! s’exclama le père de Sift.
- - Dois-je
te rappeler qui a demandé à ta femme de t’épouser Améra ?
- - Bon,
d’accord, Sift est timide.
Ils discutèrent un bon moment, se
persuadant que leurs enfants étaient saufs.
Aanor
délirait dans son sommeil. Elle appelait Siftélamos et pleurait. Ridgea lui
passa un linge humide sur le front et soupira : cela faisait trois jours
qu’elle était dans cet état là. Ridgea
était prisonnier des habitants des cavernes, parce qu’il faisait partie de la
bande de brigands qui venaient deux fois par semaine dans le village du dessus.
A vrai dire, ils avaient commencé ces « raids » lorsque les leurs
disparaissaient petit à petit. Ils étaient alors persuadés que les magiciens y
étaient pour quelque chose, mais lorsque Ridgea fut capturé par ceux-ci, il se
rendit compte qu’eux aussi étaient victimes de ces étranges disparitions. Il
avait bien fait de la sauver, à première vue elle était magicienne, et les
siens n’aimaient pas ces gens là. Cependant, il n’avait jamais vu un magicien
avec un bâton aussi étrange : la plupart avaient seulement une grande
branche tordue, pas un bâton sculpté et orné de pierreries.
Aanor
finit par se calmer et ouvrit les yeux. Elle avait encore la vue trouble mais
sa fièvre était tombée.
- - Que
s’est-il passé ? murmura-t-elle.
- - Vous
êtes malade, répondit Ridgea, qui n’avait pas quitté la chambre. En même temps,
si vous avez passé une journée dans des vêtements trempés alors que l’hiver
s’annonce, c’est un peu normal.
-
- Ah
ah ah …dit Aanor, en faisant semblant de rire.
- -
Dites-moi,
êtes-vous une magicienne ?
- -
Pardon ?
s’exclama-t-elle, l’air outrée.
- -
Êtes-vous
magicienne ? persista Ridgea.
- -
Non !
Non et non !
- - Calmez-vous !
Je ne voulais pas vous offenser ! Mais, dites-moi alors, pourquoi
avez-vous un bâton magique.
- - Avez-vous
entendu parler des Harmonies ?
- -
Les
magiciens d’ici en parlent souvent comme si c’était des démons …
- - Je
suis une Harmonie, coupa Aanor. Et je déteste tous les magiciens. Des idiots
qui dénaturent tout et qui détruisent tout ce qu’ils touchent.
- - J’en
déduis donc que vous ne souhaitez par rester parmi eux.
- - Vous
comprenez vite, lança la jeune femme.
- -
Mais,
ils ne vous feront pas confiance. Les magiciens sont …
- - Des
abrutis. Je vais gagner leur confiance : je sais comment duper les
magiciens.
- - Aanor,
est ce que vous m’aideriez à m’échapper d’ici ?
- - Si
je sors, vous sortez aussi. Je dois retrouver Sift.
- - Qui
est donc ce Siftélamos dont vous parlez tout le temps ? demanda Ridgea.
- - Une
personne qui compte beaucoup pour moi. C’est de ma faute s’il est ici. C’est de
ma faute s’il a autant de problèmes …
- - Pourquoi
dites-vous ça ?
- - Sift
m’a toujours secourue. A chaque fois que j’avais des ennuis il me sortait du
pétrin.
- - En
même temps Aanor, si vous êtes une cible des mages noirs, il vaut mieux avoir
quelqu’un à vos côté.
- - Ridgea,
vous devez m’aider à sortir d’ici. Une fois dehors, il sera facile de retrouver
Sift.
- - Mais
vous êtes malade, coupa le jeune homme. Il ne faut pas que vous sortiez. Sinon
vous risquez de mourir. Si seulement les miens vous avaient trouvée avant eux.
Le Reptile aurait pu vous soigner.
- - Le
Reptile ? dit Aanor, surprise.
- - Oui,
le même que vous avez vu.
Leur conversation dura encore longtemps,
jusqu’au moment où Aanor sombra une fois de plus dans un sommeil agité. La
fièvre était remontée, et elle délirait à nouveau.
Orek et Améra étaient assis dos à dos, à moitié
morts. Une voix aigue les tira de leur sommeil comateux :
- - Regardez-les,
ricana la voix, les plus grandes personnalités du pays d’Argent dans leur
propre prison.
- - Rendez-moi
mon élève, hurla Orek en se relevant brusquement.
- - Tout
doux vieux crouton, tu ferrais mieux de t’inquiéter de ton sort.
- - Et
pourquoi ? demanda Améra.
- - Vous
le saurez en temps et lieu, répondit la voix.
- - Rendez-la-moi !
persista Orek.
- - Xu,
lança la voix.
La personne quitta la prison en ricanant. Orek tapa du poing contre le mur de pierre.
Améra se leva, lui aussi.
- - Xu ?
dit-il, imperturbable.
-
- L’île
de Xu, expliqua Orek, est un endroit où les magiciens bannissent leurs ennemis.
Si on croit ce que notre « hôte » raconte, ce serait là-bas qu’il aurait
envoyé Aanor et Siftélamos.
- -
Il ?
demanda Améra.
- - Le
mage noir.
- - Je
ne sais pas si tu as remarqué, mais la personne qui est venue nous rendre
visite était une femme.
- - Tu
veux dire que le Mage Noir serait …
-
- C’est
tout à fait possible, Orek. Les plus grands mages ont toujours été des femmes,
mais la plupart étaient du bon côté.
- - Si
c’est une femme, on ne pourra pas la déposséder de ses pouvoirs … soupira
l’alchimiste.
- - On
ne peut pas vaincre une magicienne ? s’étonna Améra.
- - Oui.
Contrairement aux hommes, la magie est présente dès la naissance chez les
femmes, on ne peut donc pas les déposséder. Les hommes deviennent magicien suite à une exposition aux courants
magiques, les femmes n’ont pas besoin de ça. Elles sont toutes des magiciennes.
Améra soupira : il n’y avait
aucun moyen de s’en débarrasser. Et la seule personne qui était capable de
détruire un courant magique était dans une autre dimension. Le général soupira,
et garda son calme.
-
- Il
doit bien y avoir un moyen de les faire sortir de l’île, non ?
demanda-t-il.
- - Oui,
mais le moyen est dans l’île, et ce n’est qu’une légende, répondit Orek.
- - Donc
tout repose sur une légende, en espérant que les autres exilés la connaissent.
- - Aanor
connaît cette légende, mais en tant qu’Harmonie, l’île de Xu va perturber les
canaux magiques qui la parcourent, expliqua Orek.
- - Tu
veux dire que …
-
-
- Si
elle ne rencontre pas un guérisseur, d’ici huit jours, elle va mourir.
- - Mais
…
- - C’est
comme ça, les Harmonies sont puissants, mais ont une santé fragile.
- - Combien
de personnes savent ça ?
- - En
tout, trois personnes. Moi, L’aîné des triplés et une femme qui s’appelaient
Eriana. Mais elle a disparu il y a plus de vingt ans.
- - Et
bien il y a une personne en plus, Orek. Et celle la ne veut pas le bien
d’Aanor, on doit découvrir qui c’est, avant qu’il ne soit trop tard. Combien de
temps avant qu’Aanor …
-
- Huit
jours, je te l’ai déjà dit, coupa Orek.
- - Bon,
alors prépare-toi à avoir mal au crâne les huit prochains jours Orek, lança
Améra, sur le même ton agressif.
Orek
se rassit et commença à réfléchir.